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Obsèques Général Marcel Bigeard
Saint Louis des Invalides 22 juin 2010
L’immense personnalité du général
Marcel Bigeard, la solennité singulière de cette église des soldats où
nous sommes (où tant de soldats prièrent) et la découverte récente d’une
formule forte me pressent d’évoquer un mariage étonnant.
Sur un mur du musée des forces armées sénégalaises, à Dakar :
« Si l’on veut obtenir le simple devoir, il faut montrer en exemple ceux qui l’ont dépassé. » formule attribuée au Général Pinson.
Voilà pourquoi je vais parler ici d’un
étrange et formidable mariage, celui du soldat et de la mystique. Même
s’il n’est que partiellement réalisé par le Général Bigeard sa vie est
un appel à avancer en ce sens.
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1. Les valeurs militaires érigées en mystique :
« Bigeard a vécu les valeurs militaires comme une mystique », me confiait un aumônier qui l’a bien connu.
Comme une religion qui ne marche
qu’avec l’engagement total ; qui ne supporte pas qu’on cloche d’un pied
sur l’autre en voulant se ménager des issues de secours, des retours en
arrière et des chemins de traverse alors qu’il s’agit de se jeter dans
le vide à travers une porte ouverte par la confiance. « Ma vie, c’est
une histoire trop rapide. La guerre, la gloire. J’ai aimé ça quoi ! »
Bigeard
Comme une religion qui n’avance qu’à
force du témoignage personnel : « ce que je demande, je le fais ! »,
disait-il. C’est l’exemplarité du chef vécu jusqu’au bout.
Comme une religion qui ne progresse
qu’avec l’élan total pour une cause transcendante qui réclame tout
jusqu’à la vie. La France ! Il avait le mot toujours à la bouche. Il
meurt un 18 juin : un appel lancé aux forces vives de la France, encore
assez libres pour résister à un esprit de défaite majoritairement
accepté. Le paradoxe de Bigeard nous est connu : faire sa grandeur et sa
réputation en un temps de défaites (Indochine, Algérie). La foi en la
France faisait taire le mensonge du défaitisme.
Comme une religion qui règle les moeurs et les esprits : « Un combat se gagne dans la tête. »
« Rien de grand ne se fait sans force morale. » Bigeard « Etre et durer », telle était sa devise.
Comme une mystique qui, les dépassant,
fait du rite et de la morale un amour véritable : Bigeard préservait la
vie de ses hommes jusqu’à ne plus faire qu’un avec eux. Un sens de
l’homme incroyable : de son camarade, de son subordonné mais aussi de
son adversaire. La fascination qu’il exerçait émanait de sa proximité
chaleureuse avec ses hommes.
Bref, il a mené la guerre du para que je résume en une phrase ambitieuse : passer du saut de l’ange au chant de l’homme. C’est à dire de la hardiesse de la plongée dans la lutte au chant fascinant de la fraternité d’armes.
2. La mystique érigée en valeur militaire :
Mais comment, en ce lieu de prière des
soldats de France, ne pas lancer une invitation forte à vivre la
réciproque ? Entendons l’appel qui vient de très loin.
« Voilà, dit Jésus, que je n’ai jamais rencontré plus belle foi en Israël. » (Lc 7, 9)
Il parlait à des juifs pieux d’un centurion païen.
« Entre tous les hommes, c’est le soldat
que le Christ a choisi afin que la grandeur et la servitude du soldat
fussent la figuration sur la terre de la grandeur et de la servitude du
chrétien. » écrivait Ernest Psichari (le voyage du centurion)
Militaires, vivons la mystique comme une valeur militaire. La prière sera alors le souffle de la transcendance qui épanouit le soldat et conquiert la paix.
Repoussons de toute sa force la
platitude d’une existence horizontale. Intégrons la quatrième dimension à
l’exercice des armes. Penser en 4 dimensions sera alors le sommet de
la stratégie.
« A vingt ans j’étais antimilitariste.
Et d’une certaine façon, je le suis resté. », c’est peut être la plus
belle phrase de Marcel Bigeard.
Etre militaire sans être militariste
comme être clerc sans être clérical, c’est avoir sondé son âme avec
assez de profondeur pour sentir que le métier des armes n’enferme pas
toutes les forces de son âme.
L’anticléricalisme ne s’attaque pas au
fait mystique de la prière : il dénonce l’enfermement dans les méthodes,
les moyens et la supériorité des uns sur les autres. Il est le plus bel
état d’esprit pour élargir l’espace du coeur à l’amour et à la prière
et à la Sagesse.
L’antimilitarisme ne s’attaque pas à la
mission du militaire : il dénonce l’enfermement dans les moyens de
violence, dans la croyance à la supériorité de techniques sur l’homme,
dans la seule valeur de la tactique. Il est en fait la meilleure
disposition pour la mise en oeuvre des forces de la prière dans le
combat pour la paix.
Voilà après la guerre du para, celle de l’homme : elle consiste à passer du saut de l’homme au chant de l’ange.
C’est à dire de la mise en oeuvre des techniques de guerre à la
supplication intense de l’homme en prière. Joindre ainsi les armes de
lumière aux armes de fer.
Entendons à nouveau la question
déchirante d’Ernest Psichari : « Où trouver dans les désordres de la
cité un temple encore debout ? » (L’appel des armes)
Mgr Luc Ravel
22 juin 2010
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