Réservistes pour la jeunesse
   Animateurs, éducateurs, responsables associatifs des quartiers difficiles peuvent se constituer des réseaux dans le monde de la Défense pour orienter les jeunes. Adoubés par le ministère, ce sont les «réservistes locaux à la jeunesse et à la citoyenneté »

Dans un café au pied des immeubles du quartier Guinette à Étampes, dans l'Essonne, Bilaly Guissé, 18 ans, a rendez vous avec deux réservistes locaux à la jeunesse et à la citoyenneté (RLJC). C'est grâce à eux que ce lycéen en terminale professionnelle section carrosserie s'est intéressé au monde de la Défense : Bilaly espère, dans un premier temps, entrer dans la réserve opérationnelle, et peut-être un jour devenir engagé volontaire. Vis à vis de lui, les deux réservistes citoyens ont un peu joué le rôle de parrains. Éducateur dans la région depuis dix huit ans, Pascal Bonin explique : «Ici, un message ne passe auprès des jeunes que s'ils ont confiance en celui qui le transmet. Pour être mieux connue, la défense a besoin de relais issus des quartiers. Et les RLJC en sont les pivots.»

David-Emmanuel Texier, éducateur depuis quinze ans, travaille dans un centre de formation pour apprentis. Tous les jours au contact de jeunes en difficulté scolaire, sociale ou familiale, lui et Pascal les aident à se construire des repères. Afin de mieux exercer leur activité, ils ont choisi de coiffer la casquette de RLJC : «Pour étendre l'éventail des solutions à proposer aux jeunes, précise David-Emmanuel, mais aussi pour élargir notre propre réseau de contacts. Nous partageons ainsi davantage d'expériences avec les autres acteurs sociaux, chefs d'entreprise, médiateurs ou responsables associatifs.» En entrant dans la grande famille de la réserve citoyenne, ils ont vite développé des échanges réguliers avec le réseau des RLJC et noués des contacts privilégiés avec les structures des armées. Ils peuvent ainsi faire découvrir aux jeunes ce que la Défense peut leur offrir en termes d’accompagnement et d’emploi, mais aussi les valeurs dont l’institution se réclame. Ils organisent des rencontres avec les militaires ou sont présents aux journées d'appel de préparation à la Défense (JAPD), parlent des métiers militaires, les orientent vers un Centre interarmées et de recrutement des forces armées (Cirfa). Ils sont ainsi des ambassadeurs du plan Égalités des chances du ministère de la Défense. Lorsqu’ils repèrent un jeune en grande difficulté mais motivé pour s'en sortir, ils peuvent aussi l'aiguiller vers un EPIDE (Établissement public d'insertion de la Défense. «En règle générale nous devons les rassurer : ici les jeunes redoutent tout ce qui représente l'autorité et le monde militaire en est l’un des symboles», explique Pascal Bonin. «Leurs inquiétudes apparaissent dès le recensement. Certains croient qu'ils seront embrigadés à la JAPD. Nous leur expliquons ce qu'ils vont faire, et pourquoi», précise David-Emmanuel. Très méconnu, le monde militaire est caricaturé, assimilé à l’ordre, au combattant qui part guerre. «Nous leur faisons comprendre qu'être soldat, c'est d'abord exercer un métier, la plupart du temps à leur portée, insiste Pascal. C'est aussi travailler dans un esprit de camaraderie, un esprit qu’ils connaissent bien par ailleurs.» Pour aider à mieux faire passer les messages, des militaires proposent spontanément au RLJC de témoigner. Comme Sylvain Guette, caporal chez les fusiliers commandos de I'air depuis cinq ans «Servir dans l’armée, c’est l’occasion de s’ouvrir sur le monde. Voilà ce que je leur explique. En opération extérieure j’ai rencontre des gens qui vivaient dans la misère. Paradoxalement, ils n’étaient pas dans une aussi grande détresse psychologique qu’ici dans nos quartiers. Cela fait réfléchir et relativise les problèmes. Cela fait grandir». La caricature du monde militaire n'est pas I'apanage de ces jeunes. Même chez les futurs RLJC, il faut s'affranchir de préjugés «encore courants dans le milieu des acteurs sociaux reconnaît, un brin gêné David-Emmanuel. C’est en discutant longuement avec un ami, lui même RLJC, que j'ai réalisé combien la Défense véhiculait les mêmes valeurs que celles que nous cherchons à inculquer à nos jeunes en difficulté : le respect d’autrui, l’instauration de limites, le goût de l’effort et, surtout, un mode de valorisation au mérite». Une notion souvent dénuée de sens pour bon nombre d'entre eux qui n'en voient pas la concrétisation dans !e monde professionnel. «Mais un jour des ados sont revenus d'un stage découverte dans l’armée de Terre et racontaient, effarés : "Nous avons vu un Noir commander des Banc !" Ils avaient eu la preuve vivante que, quelle que soit l’origine sociale le travail et l'effort peuvent payer. Ils avaient retrouvé I'espoir.»

Pour ces éducateurs, il est gratifiant d’apprendre aux jeunes que leur avenir ne se résume pas au mot «galère» et de susciter des vocations Depuis la mise en place des RLJC à Étampes plusieurs dizaines de jeunes ont poussé la porte d’un Cirfa. Aujourd’hui, dix d’entre eux originaires du quartier des Guinettes, se sont engagés.

Yann Brand

Extrait de "Armées d'aujourd'hui" n°340 mai 2009

Dernière mise à jour : ( 18-06-2009 )