5 décembre 2008 : CR du diner débat

 

« Renseignement humain et intelligence de théâtre »

 


A l’invitation du colonel Pierre BAYLE, président de l’ANRAT, 111 convives ont participé au dîner débat annuel de l’ANRAT tenu cette année le 5 décembre dans les salons du Gouverneur Militaire de Paris. Le président remercie très vivement le général de corps d’armée DARY de cette prestigieuse mise à disposition. Les autorités présentes :
• Préfet DEL GRANDE, directeur adjoint du cabinet du Secrétaire d’Etat à la Défense et aux anciens combattants,
• Général d’armée IRASTORZA, chef d’État major de l’armée de Terre,
• Général de corps d'armée PUGA, Directeur du renesignement militaire,
• Général de division VAR, commandant le Centre d’Enseignement Supérieur de l’armée de Terre,
• Général de brigade OLLIVIER commandant le Centre de Doctrine de l’Enseignement des Forces,
• Général de brigade HOUDET, secrétaire général du Conseil Supérieur de la Réserve Militaire,
• Général de brigade DEFRETIN, délégué aux réserves de l’armée de Terre et directeur de l’Ecole Supérieur des Officiers de Réserve Spécialistes d’Etat-major,
• Général de brigade BAPTISTE, adjoint au Délégué à l’information et à la communication de défense,
• Monsieur Jean-François LAFORE, délégué général du GICAT,
• Monsieur Hervé GUILLOUX, président d’EADS – Défense et Sécurité.

 
Dans son propos introductif, le président Bayle rappelle le rôle de pont entre le monde civil et le monde militaire que jouent les réserves. L’ANRAT, par l’organisation des groupes de travail dont la restitution vient d’avoir lieu en présence du préfet DEL GRANDE et par la tenue de dîners débats tels que celui de ce soir exprime son soutien actif aux Réserves de l’armée de Terre.
 
Le sujet du dîner-débat est ensuite introduit par le modérateur de la soirée, le colonel Pierre SERVENT, président de la Réunion des ORSEM. En relation avec le « Renseignement humain et l’intelligence de théâtre », le Livre Blanc a défini comme fonction stratégique la connaissance et l’anticipation. Il s’agira ainsi de voir si les capacités du renseignement humain ont été délaissées au profit du renseignement satellitaire. Référence est faite à un propos relaté récemment dans la revue des ORSEM dans laquelle le CEMA, le général GEORGELIN présente, en se référant aux Talibans, la complexité croissante de l’approche d’un adversaire qui devient lui-même de plus en plus efficace. La meilleure protection du soldat résiderait ainsi dans le renseignement.

Le premier intervenant est le général PUGA, directeur du renseignement militaire (DRM) depuis le 1er août 2008. Il a connu un parcours de trente années dans la Légion Etrangère jalonné de postes en état major l’ayant conduit à commander le COS (Comma,ndements des opérations spéciales) et à la fonction de sous-chef opérations du Centre de Planification et de Commandement des Opérations (CPCO). Le général PUGA souligne que vouloir dissocier le renseignement de l’action est une absurdité. Il est nécessaire de rappeler à chaque personnel qu’il est un capteur d’information laquelle doit être transmise avec clarté et précision. L’information doit pouvoir ensuite être traitée et analysée sans se laisser perturber par les idées ambiantes. La redescente d’information qui en résulte donne aux hommes de terrain les nécessaires éléments de contexte qui conditionnent l’efficacité de toute action. L’importance de la manœuvre du renseignement est capitale ; selon le plan qui la régit , chacun doit trouver les indices nécessaires. Ce travail participatif place le renseignement loin d’une culture de secret car la règle en la matière est le besoin d’en connaître. Les capteurs sont à opérer à tous niveaux ; que ce soit avec les satellites, les avions d’observation, les drones ou au sol. Il s’en suit une imbrication des moyens qui est nécessaire pour assurer la cohérence d’ensemble. La France est, insiste-t-il, l’un des rares pays à posséder la palette complète du spectre technique du renseignement.

La parole est ensuite donnée au vice-président d’EADS–Défense et Sécurité, l’ingénieur de l’armement Bruno Masnou (M. Guillou, le président, rejoindra le dîner plus tard); l’industriel permet, selon lui, de faire que le renseignement monte et descende rapidement au moyen de liaisons sécurisées. L’avènement du renseignement spatial a été une contribution majeure à l’efficacité des mouvements sur le terrain. Il convient d’aller plus loin dans l’effort technologique en obtenant l’utilisation sur le terrain de procédés comme le WI-MAX dans la mesure où des conditions économiquement acceptables sont trouvées. Un des moyens permettant à l’industriel d’être plus efficace dans son acception des réalités opérationnelles est le laboratoire de modélisation du comportement des drones et des hommes. Il y a enfin lieu d’intégrer les nouvelles dimensions de l’Internet telles que « chat » et « webcam » dans le renseignement d’origine humaine.

 Le commandant de la Brigade du Renseignement (BR), le général de brigade PINEL, intervient ensuite pour développer la manœuvre du renseignement et la nécessaire coordination des moyens. La BR a été créée en 1993 et regroupe toutes les composantes du renseignement spécialisé humain (2ème RH et GRI), électromagnétique (44ème RT et 54ème RT) et image avec le 61ème RA complété en 2010 par le 28ème Groupe Géographique. Le renseignement tactique est l’information qui permet au chef de terrain de mener l’action consignée dans sa lettre de mission. La manœuvre du renseignement est ainsi la manière dont les forces vont répondre au besoin de leur chef, ceci par une optimisation de l’emploi de leurs ressources. Le renseignement conversationnel aura pour lui l’avantage d’une boucle courte opposé à la vulnérabilité du capteur. Le renseignement d’écoute déporté fait intervenir des moyens techniques permettant de traiter un grand nombre de données mais rétrécissant la perception de la situation. Enfin, le renseignement hors du contact permet une récupération de données sur une longue période avec le risque de retard dans l’exploitation du fait de la disponibilité ou non d’analystes adaptés. La qualité du chef est ainsi sa capacité à comprendre la question posée et à adapter le dispositif de recherche approprié.

Le journaliste du Point Jean GUISNEL, auteur de nombreux ouvrages sur le renseignement et l’intelligence économique, pendant de longues années spécialiste Défense à Libération, intervient ensuite. Pour lui, le renseignement sert à éviter d’être surpris par l’événement. A cette fin, il exploite toutes les sources ouvertes qui vont «  des pyramides du pouvoir aux réseaux du savoir ». Le journaliste est confronté à l’évaluation de l’importance de l’information et à l’accès à des données confidentielles auprès d’agents de l’Etat. La dimension éthique du renseignement peut alors être abordée.

De retour de Tel Aviv, après deux années passées comme attaché de Défense, le général BAPTISTE évoque la perception israélienne du renseignement sécuritaire. Si le mur de séparation construit en limite des territoires occupés et de Gaza a permis une diminution du nombre d’attentats, le retrait des forces militaires de ces secteurs et du Liban a entraîné une rupture dans le renseignement humain. La menace représentée par les tirs de mortier ne peut plus ainsi être contrée efficacement. Dans un contexte de guerre asymétrique, la haute technologique est indispensable mais reste notoirement insuffisante.

La parole est donnée à l’auditoire pour élargir le débat et traiter quelques questions.
Le général HOUDET, rappelle que l’information est concurrentielle et que dans ce contexte, le CEMAT a interdit l’usage de téléphones portables sur le terrain. Il y a lieu par ailleurs d’amplifier le mouvement de retour d’analyse des risques fait par les directions d’entreprise.
Le général PUGA commente l’emploi des réservistes en précisant son usage prioritaire des compétences civiles tout en reconnaissant l’apport des compétences militaires des réservistes qualifiés. Le partage du renseignement avec les industriels se heurte pour sa part à des questions de confidentialité et à la protection des sources.

Le général IRASTORZA fait un point de situation conclusif de ce dîner débat en donnant son appréciation des événements de l’été. L’incident de Carcassonne a été le reflet d’une prise de distance inacceptable des règles concernant l’emploi des armes. Par ailleurs le Livre blanc crée une situation difficile tant pour les personnels d’active que de réserve intégrés dans les garnisons qu’ils devront quitter. L’incident d’Uzbin en Afghanistan est un rappel à l’ordre sur la réalité de la guerre ; à la fois dureté et durée des engagements. On a ainsi pris conscience de la capacité de « résilience » des pays en guerre. Pour la réserve, rien ne change, notamment au niveau budgétaire où les positions sont conservées ; la préparation opérationnelle sera renforcée et différenciée. L’implication dans le renseignement des unités élémentaires sera développée car leur zone d’intérêt s’est élargie à un rayon de 50 kms. Le renseignement doit être vu comme une anticipation de la manœuvre de l’autre et inclure une dimension de culture militaire tant auprès des anciens que des étrangers.
Toutes photos de cet article : Denys Chappey          Plus de ptotos
Dernière mise à jour : ( 25-03-2010 )