Ces étudiants de grandes écoles ont choisi d'effectuer un stage de 19 semaines dans l'armée avant de devenir cadres en entreprise. Dans l'effort, ils font corps et sont solidaires.
David Ademas
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Le ministère de la Défense propose à des étudiants de grandes écoles
de commerce d'effectuer leur stage de fin d'études sous les drapeaux.
Pendant dix-neuf semaines,ils goûtent aux valeurs de l'armée. Séquence
frissons, sous la pluie et dans le vent.
Deuxième et dernier jour du stage d'aguerrissement au fort
Penthièvre, superbe château fort, bâti au fil des siècles pour bouter
les Anglais et les protestants hors de la presqu'île de Quiberon. Une
quinzaine de jeunes, dont deux filles, en sont au 7e obstacle d'un
parcours commando.
Sous le regard critique et bienveillant de militaires professionnels,
le petit groupe se hisse péniblement en haut d'un plan incliné et
glissant à souhait. Une pyramide humaine permet aux premiers d'accéder
au chemin de ronde. Les autres doivent redoubler d'efforts et d'astuces.
Alexandre, étudiant à l'Inseec, une école de commerce de Bordeaux, a
été désigné chef de groupe. « Allez. Allez ! On y croit. On y va ! »,
hurle-t-il en tapant dans ses mains. L'un de ses collègues stagiaires
s'étale de tout son long dans une flaque d'eau. Un autre se tient une
épaule douloureuse. Qu'importe ! En avant marche, vers l'obstacle
suivant.
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La scène fait penser à un tournage de Fort
Boyard ou à une émission de téléréalité. Il y a quelques années, ces
étudiants de master (bac + 4 ou + 5) auraient plutôt été
anti-militaristes, voire objecteurs de conscience ! Aujourd'hui, ces
futurs managers sont venus là pour « tester leur résistance, dépasser
leurs limites et prendre des leçons de management ».
Rémunérés
1 000 € par mois
Galvanisés par les plus motivés, les stagiaires
courent vers l'obstacle n° 8. Ils crapahutent depuis près de quatre
heures. Lever à 6 h au son de « Verdun la victorieuse », un chant
guerrier qu'ils sont capables de reprendre en choeur. Mise en condition
par une marche d'une heure trente, avec sac à dos, rangers et casque. Le
« parcours santé » en fait tousser plus d'un. Mais presque tous
résistent à ces deux journées d'efforts intensifs. À part un forfait,
pour cause d'incompatibilité avec la vie militaire, et deux
« hors-jeu », victimes d'une entorse à la cheville.
« Géraldine »
est le prénom que donnent les militaires à leurs collègues féminines.
Mais celle-ci se prénomme vraiment Géraldine. C'est l'une des trois
filles du groupe. Elle grelotte de froid. Au 10e obstacle, le
capitaine Maurat lui propose de rentrer au chaud. « Je reste avec
mes camarades », lui rétorque Gégé. « C'est ça l'esprit de groupe ! »,
se réjouit Arthur, de l'ESC Reims, une autre école de commerce.
Midi.
Les stagiaires regagnent leur dortoir. Certains pour une douche chaude.
Tous pour un treillis sec. Ces étudiants seraient-ils déjà dans le
moule de l'armée ? Pas vraiment. Aucun ne souhaite devenir militaire de
carrière. Ce stage, rémunéré un peu plus de 1 000 € par mois, leur
confère tout de même le statut de réserviste.
« Je suis venu
pour voir comment je réagirais au manque de sommeil et au froid », confie
Arthur qui veut travailler dans la com et la pub. Alexandre, lui,
envisage d'ouvrir un cabinet de conseil aux entreprises. « En passant
quelques semaines dans l'armée, je souhaite avoir une expérience de
groupe. Et m'initier au management. » Convoqué pour un entretien
d'embauche inattendu, Pierre, de l'Edhec de Lille, a dû demander une
permission. Lui aussi apprécie le stage. « Physiquement, je progresse
tous les jours », s'étonne-t-il en exhibant ses mains garnies
d'ampoules et de griffures. Ce sont les séquelles de passages à
l'asperge, à l'espalier, à la gouttière, et autres réjouissances du
parcours du combattant. « Tous les jours je m'impressionne !
Je pense que la moitié de la force est dans ma tête. »
Tatiana,
21 ans, de l'ESC Europe à Paris, doit suivre un master « finance et
environnement » à Berlin. Plus tard, elle envisage de faire du business
avec l'armée. Géraldine ¯ qui ne grelotte plus ¯ a prévu de terminer son
master par un mémoire sur le microcrédit en Inde, avant de postuler « dans
les relations internationales ».
En proposant ce stage à des
étudiants de grandes écoles, l'armée se constitue un vivier de
réservistes. Elle espère aussi secrètement enrôler quelques cadres. Pour
l'heure, les 17 jeunes ne l'envisagent pas. Ils pensent à la suite de
leur séjour sous les drapeaux. Après six semaines à l'école des
officiers de Saint-Cyr Coëtquidan, dans le Morbihan, ils en passeront
trois en écoles d'application à Angers, Draguignan ou Saumur. Puis dix
semaines dans un régiment, où ils seront chefs de section (en doublure).
« On a déjà appris à vivre en collectivité. À diriger un groupe. On
est plus résistants », constate Pierre avec satisfaction. « Ils
développent aussi des valeurs d'intégrité, de hiérarchie et de
dévouement », ajoute le capitaine Boulain, jeune officier,
ex-étudiant titulaire d'une maîtrise d'histoire.
Jean-Jacques REBOURS.Photo : David ADEMAS.
(C) OUEST France 15 mars 2010
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